Seconde Guerre Mondiale
 Soldats allemands emmenant un prisonnier américain
 
 

Accueil     Recherche historique aviateur Elisabethville     Rapports d'évasion     Articles     Les armées du monde

English

Les mémoires d'Ossian Arthur Seipel


Page précédente

Chapitre 3

Captivité

La route jusqu'au charmant petit village fut brève. Nous sommes passé devant un vieux français* qui m'a fait le V de la victoire avec sa main droite. Je lui ai fait un signe pour lui faire comprendre que ce ne serait pas long avant que la guerre ne soit finie. Le major a fait arrêter le véhicule et les soldats ont embarqué le vieil homme et l'ont fait monté dans le camion. Alors que nous étions dans le village, le chemin de terre a fait place à une route pavée et les pneus ont fait un bruit plus marqué. Nous nous sommes arrêtés devant une maison sans étage située à environ 50 pieds de la route. On m'a conduit à l'intérieur de la maison et c'était plutôt sombre. Seules deux petites fenêtres éclairaient la pièce. Les murs semblaient faire un pied d'épaisseur et étaient fait de boue séchée (ndlr: probablement du torchis; la description de la maison fait penser à une chaumière). Le toit était fait de paille. Il y avait une table dans la pièce principale et on m'y a fait assoir.  

 

Plaque d'identification du Lt Ossian Arthur Seipel
La plaque à vache du 2nd Lt Ossian Arthur Seipel -  Photo Lynn Dobyanski

 

Bientôt, un caporal allemand est venu et a commencé à me poser plein de questions, mais je lui ai seulement donné mon nom, mon grade et mon matricule. Il a tapé ces informations sur une feuille de papier et est reparti dans une pièce située à l'arrière. On m'a ensuite mené par une petite porte dans une autre pièce sombre avec seulement une fenêtre et trois chaises. Knox était assis sur l'une d'elle, mais nous n'avons pas montré que nous nous connaissions. Nous ne nous sommes pas parlé et restions simplement assis là.

Peu après, ils ont amené notre photographe qui nous a immédiatement salué. Nous avons essayé de l'ignorer pensant qu'il finirait par comprendre mais il continuait à parler. Son nom était Orenstein et il a été le premier à être appelé pour l'interrogatoire. Le caporal l'a poussé en direction de la porte et l'a fait avancer avec un pistolet automatique.

Environ cinq minutes plus tard, ils sont venus me chercher, et lorsque le caporal m'a poussé, le major l'a arrêté et l'a copieusement sermonné. C'était en allemand, mais je pouvais deviner que le major était fâché. Dans l'armée allemande, un caporal n'avait pas le droit de toucher ainsi un officier et le major lui a fait comprendre que cela s'appliquait à tous les officiers. Le major m'a posé plein de questions sur notre groupe, quelle était notre cible et des choses du genre mais je lui ai dis que tous ce que je pouvais lui dire était mon nom, mon grade et mon matricule. Il a dit qu'il le savait mais que parfois les gens parlaient sans y penser. Il était préoccupé par le fait que quelqu'un s'appelant Seipel (ndlr: Seipel est un nom allemand) pouvait se battre contre la mère patrie.

On m'a ensuite ramené dans l'autre pièce pendant que Knox se faisait interroger. Puis, ils ont ramené Knox. Nous n'avons jamais revu le photographe.

Ils nous ont donné à chacun une tranche de pumpernickel (pain noir) et une saucisse pour dîner et nous sommes encore restés assis.

Plus tard dans la nuit, ils nous ont fait monter Knox et moi avec 4 allemands dans un camion qui avait un banc de chaque côté. Un allemand à chaque extrémité de chaque banc et nous au milieu nous faisant face. Ils avaient tous en permanence des pistolets automatiques pointés sur nous. Un capitaine allemand était assis devant avec le chauffeur. Après deux heures de route, nous nous sommes arrêtés à un carrefour et nous avons pris une route à une voie qui a ensuite laissé la place à un chemin de terre. Ils nous ont fait descendre et nous ont emmené sur le bord de la route contre un mur en pierre pendant que deux des allemands se disputaient avec les deux autres probablement à notre sujet et cela ne me paraissait pas de bonne augure. Finalement le capitaine est sorti de l’obscurité et leur a dit quelque chose. On nous a fait remonter dans le camion pour poursuivre la route vers je ne sais où. L’idée de jouer au héro comme dans les films m’a vaguement traversé l’esprit mais avec les fusils pointés sur nous, c’était hors de question. Au bout d’un moment, nous sommes arrivés devant une grande barrière en fer. Le capitaine a dit quelque chose aux gardes et ils ont ouvert la barrière. Nous avons roulé sur une route pavée mal éclairée avec de hauts murs en brique tout autour.

Ça aurait pu être la Bastille. C’était suffisamment grand et suffisamment vieux. C’était en pleine ville et pas en pleine campagne comme aux Etats-Unis. Les murs paraissaient faire 6 pieds (1m80) d’épaisseur et au moins 20 pieds (6m) de haut.

On nous a emmenés à l’intérieur; on nous a fouillés et on nous a tout pris. Quatre allemands ont fouillé nos habits. J’avais une petite boussole cachée dans l’un de mes mouchoirs qu’ils n’ont pas trouvé car c’était le mouchoir que j’utilisais depuis deux semaines. Mais ils ont trouvé une carte en soie du centre de la France que j’avais dissimulée dans un paquet de cigarette ainsi que quelques francs français dans ma poche arrière. Deux autres types ont vérifié nos bouches et autres orifices anatomiques avec des gants en caoutchouc. Ils ont mis mon alliance et ma montre dans une enveloppe en papier et l’ont mis dans l’une de mes chaussettes ainsi que ma ceinture et mon autre chaussette. On m’a laissé garder mon slip, ma chemise et mon pantalon. On nous a placés dans des cellules avec des lits en fer et une petite fenêtre avec des barreaux a environ 6 pieds (1m80) au-dessus du sol. La porte de la cellule a été fermée bruyamment et je me suis retrouvé seul. J’aurais aimé qu’ils m’aient laissé ma veste A2 car il faisait froid.

Après une nuit glaciale, j’étais réveillé par un garde frappant sur la porte en métal et criant "Raus! Raus !". Un petit français le suivait avec un seau contenant un liquide qu’ils prétendaient être du café. Il y avait un seau en métal dans un coin de la cellule qui servait de toilette. Il ne s’est rien passé jusqu’en milieu de matinée lorsqu’une alerte de bombardement a retenti. Nous avons alors eu la chance d’assister à un raid aérien allié vu du sol.

Des B-24 bombardaient une cible quelque part en ville et je pouvais entendre les autres prisonniers s’enthousiasmer alors qu’ils regardaient les bombes tomber. Les clameurs se sont tues lorsque deux des B-24 ont été abattus. Nous regardions les parachutes s’ouvrir et nous avons été saisis lorsque nous avons vu un parachute s’ouvrir et prendre feu. J’en ai fait des cauchemars des années durant et je me réveillais avec des sueurs froides. Les balles perdues de la flak faisaient beaucoup de bruit en s’abattant sur le toit des bâtiments avoisinants.

Vers midi, ils ont amené un tranche de pain complet et un morceau de fromage d’environ un pouce par deux pouces et encore de l’ersatz de café.

Je ne parvenais toujours pas à réaliser ce qui m’arrivait. C’était comme un rêve étrange. Je pouvais presque imaginer une guillotine dans la cour intérieure. Il n’y avait aucun bruit sauf parfois les bruits de pas des gardes et les cris de quelqu’un appelant les gardes.

Après deux nuits dans cet endroit, douze d’entre nous avons été amenés vers un camion qui nous attendait. On nous a rendu nos effets personnels, bagues, ceintures et tous ce qui ne nous avait pas été donné par le gouvernement. Ils ont gardé les montres. Je suppose qu’ils ont considéré que le temps n’avait plus d’importance pour nous. On nous a fait monter tous les douze dans le camion et les gardes sont montés dans deux autres camions. Six dans le camion de devant et six dans le camion de derrière. C’est exact, un garde par prisonnier. Peu de temps après, nous sommes arrivés à une voie ferrée et on nous a fait monter dans un wagon pour passagers, six prisonniers dans chaque compartiment. Le reste du wagon s’est vite retrouvé rempli avec des soldats blessés qui rentraient chez eux en permission. Le reste du train était constitué de wagons plats chargés de tanks, pièces d’artillerie, munitions et autre matériel militaire. C’était une cible de premier choix pour l’aviation alliée et nous le savions.

Nous avons quitté Paris et nous mettions le cap vers l’est. Nous savions tous que nous nous dirigions vers l’Allemagne. Un des prisonniers avait de graves brulures au visage et des ampoules l’empêchaient d’ouvrir les yeux. Un officier allemand passant devant le compartiment l’a remarqué et est entré. Il parlait un peu anglais et nous a dit qu’il était médecin sur un sous-marin et qu’il allait prodiguer quelques soins à ce prisonnier. Il a demandé à un garde d’amener son sac et il a percé les ampoules afin de lui permettre d’ouvrir les yeux. Cela nous a tous surpris et nous avons pensé que peut-être nous serions bien traités. Mais pas de chance…

Le voyage n’avait rien à voir avec un voyage d’agrément de Paris vers Frankfort. Le train était essentiellement constitué de wagons de marchandise qui étaient décrochés ou accrochés au train. Nous avons été la cible d’un raid aérien dans l’une des gares de triages. Les gardes et tous les allemands sont partis se mettre à l’abri mais nous ont laissés enfermés dans le train. Nous avons crié mais ils ne faisaient que nous regarder depuis les abris. Un des wagons sur la voie d’à côté a prit feu et dès que l’alerte est passée, les gardes sont revenus et le train s’est éloigné de l’incendie. Nous ne nous sommes plus arrêtés dans les gares de triage. Nous nous arrêtions en dehors des villes pour éviter les dommages collatéraux en cas d’explosion des munitions se trouvant à bord du train.

Nous étions tous des officiers de l’armée de l’air, pilotes, bombardiers, navigateurs. Nous pouvions tous constater les dégâts infligés par nos forces sur le réseau ferroviaire allemand. La plupart des ponts étaient touchés et étaient en constante réparation. La plupart du temps, les réparations étaient menées par des travailleurs français et polonais sous supervision allemande.

Nous sommes arrivés à Frankfort et nous avons marché dans la gare sous les huées des civils allemands. Ils brandissaient des bâtons et des parapluies et jetaient tous ce qu’ils pouvaient sur nous. Je crois que nous étions contents d’avoir 12 gardes car ils maintenaient les civils à distance. Toutefois, ils ne faisaient rien pour les empêcher de nous jeter des cailloux.

Ils nous ont fait marcher jusqu’à une base militaire constituée de plusieurs bâtiments et entourée d’une grande clôture. Nous avons découvert par la suite qu’il s’agissait du Dulag Luft, le centre d’interrogation pour tous les aviateurs capturés. Nous avons été séparés et enfermés chacun dans une cellule séparée. La cellule faisait environ 8 pieds par 5 pieds (2m40 par 1m50) ; il y avait une fenêtre mais les vitres étaient peintes et on ne pouvait pas voir dehors. Il y avait un lit de camp et dans un coin l’inévitable bassine qui servait de toilette. La pièce était uniquement éclairée par la lumière qui filtrait à travers la vitre peinte. Le garde m’a expliqué dans un anglais à peu près convenable qu’on nous donnerait à manger et que lorsque nous aurons fini nous devrions placer la vaisselle sur l’étagère fixée sur la porte. Il m’a aussi indiqué une corde que je pouvais tirer si j’avais besoin de quelque chose. Super !!!

J’entendais du bruit dehors comme si quelqu’un distribuait de la nourriture mais ils ne se sont pas arrêtés devant ma porte. J’ai tiré sur la corde à plusieurs reprises mais rien ne s’est passé. J’ai dormi et lorsque je me suis réveillé, il faisait nuit noire. J’ai dormi encore un peu et ensuite il faisait un peu clair et nous étions donc le matin. J’ai de nouveau entendu du bruit dehors. J’ai vu l’étagère sur la porte pivoter et il y avait une tasse d’ersatz de café et une tranche de quelque chose qui avait un goût de sciure acide.

Il y avait toujours quelque chose qui se passait dehors mais personne ne disait jamais rien. Alors qu’il commençait à faire sombre dehors, un bol de soupe et une autre tranche de pain à la sciure est apparu sur l’étagère et j’ai dîné. Un jour je me suis mis debout sur mon lit de camp et j’ai essayé de gratter la peinture afin de voir à travers la vitre. La porte s’est ouverte et le garde m’a attrapé par la ceinture et m’a fait assoir sur le sol. Il dit seulement “Das ist verboten” et est sorti sans rien dire d’autre. J’ai tiré sur la corde à plusieurs reprises mais personne n’est jamais venu.

Le troisième jour, le garde est venu et a ouvert la porte et m’a fait sortir. Un officier allemand m’attendait. Il ressemblait à un vrai prussien. Il était un peu moins grand que moi mais paraissait en pleine forme. Il était complètement chauve et tout ce qui lui manquait était un monocle. Il s’est exprimé dans un anglais impeccable et m’a conduit jusqu’à son bureau. Il m’a montré du doigt le joli paysage et m’a parlé de sa cabane de chasseur dans la forêt près de chez lui. Lorsque nous sommes arrivés à son bureau, il s’est assis à sa table et je me suis assis en face de lui. Il m’a donné le choix entre des cigarettes américaines, anglaises et françaises. J’ai pris une Camel et elle était bonne ! Il a ensuite commencé à m’interroger.

Combien d’avions lors de ma dernière mission, quelle était la cible et quel était le sentiment général des hommes à propos de la guerre. Je lui ai donné mon nom, mon grade et mon matricule et il a ri. Il est allé chercher un dossier sur une étagère. Sur le dossier était écrit “397th Bomb Group”. Il m’a alors raconté plein de chose que je ne savais pas sur le 397th. Il m’a donné toute la chaine de commandement et a même mentionné que le Capitaine Berger était maintenant Major. Il m’a demandé comment se portait ma femme dans l’Iowa et si j’aimerais lui écrire. J’ai dit « oui » et il m’a assuré que ce sera bientôt possible. Il m’a dit quand je me suis marié et puis m’a demandé quel était le plafond de vol d’un B-26 et quelle était sa charge maximale. Il n’a pas semblé surpris lorsque je lui ai récité mon nom, mon grade et mon matricule. Il m’a donné une autre cigarette et un garde m’a ramené à ma cellule.

Quelques minutes plus tard, le garde m’a fait sortir et m’a emmené à la douche et m’a laissé me raser avant de me reconduire à ma cellule. Je me sentais mieux mais pas vraiment bien. Le dîner était identique au précédent et c’était insuffisant. Le matin suivant, j’étais réveillé avant l’aube et je me suis retrouvé dans le hall avec une vingtaine d’autre prisonniers. On nous a fait marcher jusqu’à une gare de triage et on nous a fait monter dans un wagon de marchandise. On nous a donné un morceau de pain à la sciure et un morceau de fromage. Après deux jours dans le wagon de marchandise, nous avons atteint Wetzler (Allemagne). Quelques bâtiments entourés de barbelés et de miradors. On nous a tous donné une boite contenant des effets personnels : rasoir, peigne, chaussettes, un kit de couture, une brosse à dent et une petite serviette, le tout étant fourni par la croix rouge américaine. Nous avons passé deux jours à cet endroit puis nous sommes remontés dans le wagon de marchandise pour la dernière étape de notre périple.

Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert comment les allemands faisaient pour avoir autant d’informations sur les aviateurs qui était capturés. Des sympathisants de la cause allemande résidants aux Etats-Unis lisaient dans le journal tout ce qui se disait sur les américains qui suivaient un entrainement militaire. L’armée américaine donnait à la presse toutes les informations qu’elle pouvait sur les soldats afin de maintenir le moral de la population. Cette information était transmise aux centres d’interrogation allemands par le biais des pays neutres. Lorsqu’un avion était abattu, les prisonniers étaient enfermés dans des cellules individuelles. Ainsi le prisonnier avait tous le temps de méditer sur son triste sort et dans le même temps cela laissait le temps aux allemands de compiler l’information à leur disposition et ainsi de démoraliser le captif en lui donnant toute l’information qu’ils avaient sur lui. Ils espéraient que le prisonnier allait en déduire qu’il ne pouvait rien leur cacher.

Page suivante
 

* Ce français était probablement Edouard Jumantier mort en déportation en mars 1945

 

Chapitre 1: Barksdale Field

Chapitre 2: Angleterre

Chapitre 3: Captivité

Chapitre 4: Sagan

Chapitre 5: La marche

Chapitre 6: Moosburg

Chapitre 7: Libération

 

 

 

Accueil     Rapports d'évasion     Articles     Recherche historique     Contact     Liens externes
     Conditions générales     Politique de confidentialité

Home     Historical Research POW     Evasion Reports     Contact     External Links     Terms and Conditions     Privacy Policy


Copyright © 2010-2015 http://www.seconde-guerre-mondiale.com, Tous droits réservés, All Rights Reserved